Les Déchaînés
Sarbacane / 2011
Auteur·rice : Flo Jallier
Les premières lignes
"L'ÉTERNELLE RÉPÉTITION 1
{AMÉLIA}
Martinique, St-Pierre,1871
Dehors ! tonna le Maître, sourcils hauts, bouche de travers, son index pointé vers la porte.
Concentrée sur sa feuille, Laure ne leva même pas le nez ; le bout de sa langue collé contre sa lèvre supérieure, elle se remit à écrire. Thibault, lui, se redressa vivement, ne s'attendant pas du tout à le voir arriver là, lui, en plein milieu de leur nouveau jeu. Quant à Amélia...figée net.
Sur l'île, il faisait trop chaud pour jouer à quoi que ce soit. Le moindre geste pesait une tonne, la plus petite pensée faisait bouillir le cerveau à tel point qu'on aurait pu se cuire un œuf sur la tête. Quelques heures plus tôt, avec une pesanteur inhabituelle, Thibault, Laure et Amélia s'étaient demandé quoi faire alors, sous cette chaleur meurtrière de la période du Carême. C'est Thibault qui avait proposé la salle d'étude, une des nombreuses "pièces à hôtes" de la grande demeure familiale – devenue "salle d'étude" depuis l'arrivée d'Henri le précepteur. Ombragé par les feuilles d'un grand palmier, c'était l'endroit le plus frais de toute la maison.
Amélia avait d'abord hésité à entrer, mais Thibault l'y avait pratiquement obligée, arguant que son père ne rentrerait pas avant le soir et que sa mère ne venait jamais par ici, et puis zut, qu'il fallait qu'elle soit un peu plus courageuse que ça si elle voulait être, un jour, son Second sur leur voilier ! Quant à la petite Laure, elle avait suivi son frère sans broncher, comme d'habitude.
Le contenu
En 1871, Thibault et Amélia ont douze ans. Il est le fils de Monsieur de La Bauterie, le propriétaire de la plantation de canne à sucre. Elle est la fille de Mam Artémise, la cuisinière. Thibault, le petit aristocrate blanc a lui aussi été nourri et élevé par Man Artémise. C'est un enfant vif et rebelle, un parfait cas d'intégration à l'envers pour son précepteur français, parlant créole et plus à l'aise avec les noirs de la plantation qu'avec les blancs de son milieu. Pour Thibault, la plantation est un paradis où il vit librement et sans contraintes. Lorsque Amélia et Thibault, au sortir de l'enfance, se découvrent attirés l'un par l'autre, puis explorent cette attirance, c'est la fin de la liberté pour Thibaut et de l'innocence pour Amélia.
En 1944, à Paris, on retrouve Amélia, vieille femme arrêté par les nazis et soupçonnée d'actes de résistance. Thibault, son mari, est mort depuis deux ans, et Camille, leur nièce essaie en vain de sauver sa chère Amélia de la déportation.
Trente ans plus tard, Louisiane, la fille de Camille, rencontre Pierrot, un jeune gars de la banlieue qui tombe fou amoureux d'elle. Pierrot, pour qui la famille c'est important, ne comprend pas que Louisiane ne s'intéresse pas à ses propres origines, et entreprend de fouiller dans le carton à chapeau, en haut de l'armoire...
Ce roman à la construction originale explore de nombreux thèmes. C'est tout d'abord l'histoire d'un immense amour entravé par un drame originel tenu secret.
Ce drame conduit au silence, à l'absence des mots qui révèlent, mais qui construisent et délivrent aussi, entre Amélia et sa mère, entre Amélia et Thibault, puis entre Louisiane et Pierrot
Flo Jallier décrit aussi la société martiniquaise de 1871, où les noirs restent soumis à la volonté des blancs, malgré l'abolition de l'esclavage, plus de vingt ans auparavant. Elle montre aussi les préjugés tenaces, la force des clivages sociaux, le regard négatif d'une partie de la société française sur les noirs durant la seconde guerre mondiale jusqu'aux années 70. C'est aussi le regard que les intéressés portent sur leurs propres origines sociales, comment ils s'en libèrent ou non.
Aux mots que l'on garde enfouis, Flo Jallier oppose la diversité des langages : créole, allemand puis argot de la banlieue parisienne.
Enfin, la construction du roman est intéressante : alors que la première partie, en Martinique, est racontée de manière chronologique, les chapitres suivants ouvrent des fenêtres sur le passé à travers lettre, rapport de police ou récit.
Christine Enguehard
Piste d'écriture
Marie-Jo et sa mère sont en Martinique, sur les traces de leurs ancêtres. Rédigez les mails que chacune adresse à Pierrot.
"L'ÉTERNELLE RÉPÉTITION 1
{AMÉLIA}
Martinique, St-Pierre,1871
Dehors ! tonna le Maître, sourcils hauts, bouche de travers, son index pointé vers la porte.
Concentrée sur sa feuille, Laure ne leva même pas le nez ; le bout de sa langue collé contre sa lèvre supérieure, elle se remit à écrire. Thibault, lui, se redressa vivement, ne s'attendant pas du tout à le voir arriver là, lui, en plein milieu de leur nouveau jeu. Quant à Amélia...figée net.
Sur l'île, il faisait trop chaud pour jouer à quoi que ce soit. Le moindre geste pesait une tonne, la plus petite pensée faisait bouillir le cerveau à tel point qu'on aurait pu se cuire un œuf sur la tête. Quelques heures plus tôt, avec une pesanteur inhabituelle, Thibault, Laure et Amélia s'étaient demandé quoi faire alors, sous cette chaleur meurtrière de la période du Carême. C'est Thibault qui avait proposé la salle d'étude, une des nombreuses "pièces à hôtes" de la grande demeure familiale – devenue "salle d'étude" depuis l'arrivée d'Henri le précepteur. Ombragé par les feuilles d'un grand palmier, c'était l'endroit le plus frais de toute la maison.
Amélia avait d'abord hésité à entrer, mais Thibault l'y avait pratiquement obligée, arguant que son père ne rentrerait pas avant le soir et que sa mère ne venait jamais par ici, et puis zut, qu'il fallait qu'elle soit un peu plus courageuse que ça si elle voulait être, un jour, son Second sur leur voilier ! Quant à la petite Laure, elle avait suivi son frère sans broncher, comme d'habitude.
Le contenu
En 1871, Thibault et Amélia ont douze ans. Il est le fils de Monsieur de La Bauterie, le propriétaire de la plantation de canne à sucre. Elle est la fille de Mam Artémise, la cuisinière. Thibault, le petit aristocrate blanc a lui aussi été nourri et élevé par Man Artémise. C'est un enfant vif et rebelle, un parfait cas d'intégration à l'envers pour son précepteur français, parlant créole et plus à l'aise avec les noirs de la plantation qu'avec les blancs de son milieu. Pour Thibault, la plantation est un paradis où il vit librement et sans contraintes. Lorsque Amélia et Thibault, au sortir de l'enfance, se découvrent attirés l'un par l'autre, puis explorent cette attirance, c'est la fin de la liberté pour Thibaut et de l'innocence pour Amélia.
En 1944, à Paris, on retrouve Amélia, vieille femme arrêté par les nazis et soupçonnée d'actes de résistance. Thibault, son mari, est mort depuis deux ans, et Camille, leur nièce essaie en vain de sauver sa chère Amélia de la déportation.
Trente ans plus tard, Louisiane, la fille de Camille, rencontre Pierrot, un jeune gars de la banlieue qui tombe fou amoureux d'elle. Pierrot, pour qui la famille c'est important, ne comprend pas que Louisiane ne s'intéresse pas à ses propres origines, et entreprend de fouiller dans le carton à chapeau, en haut de l'armoire...
Ce roman à la construction originale explore de nombreux thèmes. C'est tout d'abord l'histoire d'un immense amour entravé par un drame originel tenu secret.
Ce drame conduit au silence, à l'absence des mots qui révèlent, mais qui construisent et délivrent aussi, entre Amélia et sa mère, entre Amélia et Thibault, puis entre Louisiane et Pierrot
Flo Jallier décrit aussi la société martiniquaise de 1871, où les noirs restent soumis à la volonté des blancs, malgré l'abolition de l'esclavage, plus de vingt ans auparavant. Elle montre aussi les préjugés tenaces, la force des clivages sociaux, le regard négatif d'une partie de la société française sur les noirs durant la seconde guerre mondiale jusqu'aux années 70. C'est aussi le regard que les intéressés portent sur leurs propres origines sociales, comment ils s'en libèrent ou non.
Aux mots que l'on garde enfouis, Flo Jallier oppose la diversité des langages : créole, allemand puis argot de la banlieue parisienne.
Enfin, la construction du roman est intéressante : alors que la première partie, en Martinique, est racontée de manière chronologique, les chapitres suivants ouvrent des fenêtres sur le passé à travers lettre, rapport de police ou récit.
Christine Enguehard
Piste d'écriture
Marie-Jo et sa mère sont en Martinique, sur les traces de leurs ancêtres. Rédigez les mails que chacune adresse à Pierrot.
15,50 euros
Collection eXprim
Collection eXprim
2014, 2015
2014
Roman