La voix de la meute, tome 1. Les remplaçants
Thierry Magnier / 2014
Auteur·rice : Gaïa Guasti
Les premières lignes
« Le brouillard ne s’était pas levé de la journée.
Désormais le voile blanchâtre qui couvrait l’horizon se colorait de rouge dans l’heure du couchant.
Comme chaque vendredi, Mila descendit seule à l’arrêt de bus des Trois Chemins.
Rosalie lui fit signe par la vitre et Mila put lire sur ses lèvres : A lundi, tête de pioche.
Mila sourit, le bus ferma ses portes et s’éloigna le long de la départementale, immédiatement avalé par le mur de brume.
Elle entendit le bruit du moteur disparaître et laisser place à un silence profond, ouaté. Puis, une salve d’aboiements éclata au loin.
Chasseurs, pensa Mila.
Peut-être que le père de Ludovic était de la partie. »
Le contenu
Lieu-dit de la Résurgence, un 15 novembre. Comme tous les 15 novembre, Mila, Tristan et Ludovic se rejoignent afin de fêter en commun leurs anniversaires. Les trois adolescents tiennent à cette tradition car elle leur permet de se retrouver et de conserver le lien qui les unit. Les trois amis d’enfance ont en effet, au fil des années ; pris des orientations différentes.
Or ce jour-là, alors qu’un brouillard automnal épais recouvre la forêt, les trois jeunes gens se font attaquer puis mordre par trois chiens loups. Cette attaque marque un tournant décisif dans leur vie puisque, suite à cette dernière, à chaque fois qu’ils se retrouvent submergés par une émotion intense (que ce soit la peur ou la surprise), les trois adolescents entendent une voix leur intimant quoi faire avant de se transforment soudain en loups garous. Evidemment, selon leur personnalité et leur situation familiale, Mila, Ludovic et Tristan réagissent différemment face à ce bouleversement morphologique. Oscillant, au gré des péripéties, entre rejet et attirance à l’égard de cette nature lycanthropique qui est désormais la leur, les trois amis devront accepter de se perdre pour mieux se retrouver et être enfin eux-mêmes !
D’aucun trouveront le thème de la lycanthropie en littérature jeunesse certes éculé et classeront à tort à la lecture de ce résumé ce roman dans la « bit lit », cette « littérature mordante » dans laquelle s’épanouissent vampires, loups garous ou sorcières.
Pourquoi à tort? Parce que tout d’abord, l’auteure ne se contente pas ici de mettre en scène une héroïne stéréotypée, le plus souvent peu digne d’intérêt, mais trois protagonistes de sexe différent dont le quotidien va être bouleversé par l’intrusion d’événements fantastiques. Gaïa Guasti veille ainsi à étoffer le portrait psychologique des trois adolescents tout au long du roman. Le jeune lecteur fait connaissance avec des personnages intéressants, attachants et « vraisemblables », dont les questionnements, relatifs à leur identité, sont ceux d’adolescents d’aujourd’hui.
En second lieu, loin de véhiculer des poncifs d’un sous-genre littéraire devenu trop cliché, la langue utilisée par la romancière est très travaillée et dégage une certaine puissance. Le vocabulaire est varié et précis, requérant de la part du lecteur concentration et attention. Attention que l’auteure parvient d’ailleurs très rapidement après quelques pages à capter, tant les aventures s’enchaînent avec force logique et suspense.
Refusant de faire évoluer les trois protagonistes en vase clos, la narration fait enfin la part belle à des personnages secondaires (tels que la mère de Mila, le père de Ludovic ou la louve rousse qui poursuit sans relâche les trois amis) qui gagneront sans nul doute en épaisseur dans les deux autres tomes à paraître. Cela permet également à la romancière de poser des jalons quant à d’éventuels épisodes ou rebondissements à venir.
L’on connaissait une Gaïa Guasti drôle et incisive, dans notamment La tête dans les choux. L’on découvre, avec ce premier tome, une auteure à l’imagination foisonnante et à la plume exigeante, qui tente par le recours à la fiction et plus particulièrement au genre fantastique, de traiter de problématiques adolescentes liées principalement à la puberté et aux premiers émois amoureux.
Camille Joret et Hélène Dargagnon