Premières lignes :

Enid : L'automne

1 – Des bruits dans la vieille tour ou De l'utilité d'avoir des sœurs

Parfois Enid aurait préféré avoir moins de sœurs.
- Deux m'auraient suffi, confia-t-elle à Gulliver Doniphon qui partageait avec elle la banquette du car scolaire.
Gulliver se pinça la paupière gauche, examina avec tendresse son pouce où trois cils venaient de rendre l'âme :
- Si tu n'avais que deux sœurs, tu choisirais qui ?
Enid se pencha pour contempler, très intéressée elle aussi, les cils défunts de Gulliver.
- J'en sais rien. J'ai pas dit que je choisirais.
- Quatre moins deux égale deux. Si deux suffisent, celles qui restent sont à mettre à la poubelle.
Enid fixa Gulliver avec perplexité, vaguement choquée même. Il expédia d'une pichenette désinvolte les cadavres de cils en direction du dossier de devant. Gulliver Doniphon avait sept frères et sœurs.
- Faudrait pouvoir faire un roulement, conclut-il. Un jour l'une, un jour l'autre.


Le contenu

Les quatre sœurs, Enid, Hortense, Bettina et Geneviève, sont en réalité cinq avec l’aînée, Charlotte, dite Charlie, jeune femme de vingt-trois ans devenue chef de famille depuis la mort brutale de leurs parents dix-neuf mois auparavant.
On suit la vie quotidienne de ces cinq sœurs durant une année scolaire, de l'automne à l'été, dans la vieille maison familiale, la Vill'Hervé, perchée sur la falaise face à la mer.
Le premier volet de cette chronique familiale débute donc en automne, avec Enid, neuf ans, la plus jeune des sœurs, jeune lutin gourmand amie des chats, écureuils, chauve souris et autres bêtes de toute sorte. En ce début d'automne, la tempête souffle avec violence autour de la maison et a durant la nuit projeté le vieux sycomore dans le puits. Alors que les sœurs s'inquiètent du coût des réparations, Enid, est, quant à elle, très préoccupée par le sort de Blitz, l'écureuil, et de Swift, la chauve souris occupants respectifs du sycomore et du puits...


Malika Ferdjoukh excelle à dépeindre avec humour et tendresse le quotidien de cette « fratrie »(le mot est décidément inadapté) que l'on nommera plutôt tribu tant ces cinq sœurs accueillent avec facilité amis, connaissances et amoureux des unes et des autres. Car plus on est nombreux, plus on se tient chaud, au corps et au cœur.
Ces sœurs nous paraissent bien familières, chacune avec son caractère et sa façon particulière de se fondre dans la « sœurie »tout en s'en distinguant. Bettina, l’insupportable chipie, attirée malgré elle par les garçons les plus atypiques, Hortense et Geneviève, les deux réservées qui cultivent leur jardin secret et à chaque bout Enid, la petite encore plongée dans le monde de l'enfance, et Charlie la grande sœur fière et pragmatique au cœur d’artichaut.
Les nuits mouvementées à cause de la tempête qui fait rage, les goûters à l'Ange Heurtebise, Basile, l'ami fidèle, à qui on ne sait pas toujours quoi dire, mais qui n'a pas son pareil pour préparer couscous et autres goûter réconfortants, la vieille maison, son escalier macaroni et sa chaudière récalcitrante.
Les sœurs se disputent, discutent en secret avec leurs fantômes de parents, et se serrent les coudes lors des éprouvantes visites de la tante Lucrèce.
Malika Ferdjoukh n'a pas son pareil pour camper un univers délicieusement loufoque où les amis s'appellent Gulliver, Denise et Béhotéguy, où la tante Lucrèce porte un tailleur du catalogue Tamard et où la jeune Muguette annonce qu'elle sera Meurthe et Moselle au printemps suivant.
On passe avec subtilité du rire à la mélancolie, sans larmoiement mais avec, régulièrement, un pincement au cœur ; comme dans nos vies...


Quatre sœurs rassemble les quatre tomes parus séparément dans la collection médium de L'école des loisirs en 2003.
Si l'épaisseur de cette intégrale décourage vos lecteurs, vous pouvez choisir de ne leur faire lire que le tome 1, Enid.

Christine Enguehard