Songe à la douceur

Songe à la douceur

Songe à la douceur

Sarbacane / 2016

Auteur·rice : Clémentine Beauvais

Résumé

Présentation de l'éditeur

Quand Tatiana rencontre Eugène, elle a 14 ans, et il en a 17. C'est l'été, et il n'a rien d'autre à faire que de lui parler. Il est sûr de lui, charmant, alors qu'elle est timide, idéaliste et romantique. Inévitablement, elle tombe amoureuse de lui, et réciproquement.

 

Notre avis

« Tout a commencé
dans une banlieue parisienne feuillue,
pas très aisée mais pas trop indigente non plus,
dans une maison blanche
qui ressemble à la maison Playmobil. »


Dans cette maison habitent Tatiana et sa sœur aînée Olga. Cette dernière est éperdument éprise d’un certain Léonard, un slameur de 17 ans surnommé Lensky, avec lequel elle passe le plus clair de ses après-midis enfermée dans sa chambre.

« A l’étage du dessous, Tatiana, quatorze ans
lit, lit,
lit, lit, lit, lit, lit »


et vit par procuration à travers les « histoires des sœurs Brontë, de Jane Austen, de Zola, de Boris Vian, d’Aragon, de Shakespeare ». Sa rencontre avec Eugène, un ami de Lensky, cet été 1996, bouleverse le quotidien livresque de Tatiana qui tombe immédiatement amoureuse de la nonchalance teintée de spleen du jeune homme. Les heures glanées à discuter de tout, et surtout de rien, dans le jardin de la jeune fille, encouragent Tatiana à penser que cet amour naissant est partagé. Seulement Eugène, dont l’esprit est embué par des pensées et des agissements contradictoires, repousse l’adolescente, laquelle, suite au terrible « drame domestique » qui marquera à jamais la vie de ces adolescents, sera à jamais séparée de son premier amour… « A jamais », c’est ce qu’elle croit, car par un hasard des plus complets, 10 ans plus tard, Eugène et Tatiana se retrouvent sous terre, dans le métro. Tatiana se rend à la bibliothèque pour poursuivre ses recherches : elle fait une thèse en histoire de l’art sur Gustave Caillebotte. Eugène se rend lui à l’enterrement de son grand-père. Or l’émotion, la maladresse, l’attrait qui les submergent sont les mêmes que jadis. Les deux jeunes gens sauront-ils saisir cette deuxième chance que leur offre le destin ?

Après le succès des Petites reines, on attendait Clémentine Beauvais au « tournant ». Avec toute l’intelligence qu’on lui connaît, l’auteure joue ici la carte de la surprise en publiant chez Sarbacane un roman étonnant et détonnant. Dans la lignée des « novels in verse » anglo-saxonnes, elle propose en effet avec Songe à la douceur un roman en vers libres. Ce choix formel imposant le recours à une typographie qui fait sens participe de la fluidité et du dynamisme de l’histoire qui nous est contée. Aucun temps mort dans ce texte, lequel semble nous être déclamé dans un seul souffle par un narrateur expert dans l’art oratoire, prêt à tout pour maintenir l’intérêt du lecteur, quitte à bouleverser la chronologie du récit. Ces va-et-vient entre le passé et le présent des personnages principaux scandent avec énergie la lecture de ce roman, tout en contribuant à accentuer le caractère mélodramatique de l’argument principal, en l’occurrence les amours contrariées de deux adolescents devenus adultes.

Ce mélange des genres – romanesque, théâtral, poétique, cinématographique – permet à Clémentine Beauvais de traiter de manière extrêmement moderne et personnelle des topoï de la littérature classique européenne, tels que la scène de rencontre, l’écriture de la lettre d’amour ou le récit rapporté de la mort tragique du héros. Un lecteur averti aura donc plaisir à décrypter les références implicites à Baudelaire, Racine, Corneille, et bien évidemment Pouchkine. Un lecteur moins averti se délectera tout autant des portraits tellement vraisemblables, tellement drôles et touchants des protagonistes du roman, dans lesquels le lecteur se reconnaitra nécessairement. Protagonistes à l’égard desquels l’auteure fait tantôt preuve d’une empathie totale, tantôt preuve d’une ironie toujours parée de bienveillance et d’humour, afin de donner d’eux un portrait le plus réaliste et juste possible. Par le biais de la fiction, Clémentine Beauvais parvient à faire jaillir d’eux la part d’universalité qu’ils contiennent et en appelle ainsi à la soif d’absolu, d’amour, de beauté que chaque lecteur recèle.

Certes c’est une sacrée gageure de proposer ainsi l’adaptation contemporaine d’un classique de la littérature russe, pourtant avec force modestie, sensibilité et drôlerie. L’auteure y parvient avec une facilité déconcertante qui cache en amont (comme chez les prestidigitateurs) un travail sur la langue incroyablement minutieux. Bravo donc et merci à elle pour cette nouvelle création.


Hélène Dargagnon

Cette chronique a été publiée sur le site Ricochet

15,50 euros


Collection Exprim'

2017
Roman